Altitude Magazine N° 18.

84 85 \ ALTITUDE culture Pierre Zufferey n’a pas suivi la voie académique classique. Titulaire d’un CFC de dessinateur en architecture, il s’est formé seul à la création, en dehors des institutions. Cette rigueur acquisegrâce à son premier métier, il l’applique aujourd’hui à sa pratique artistique : chaque pièce est archivée, signée, numérotée. Il a su s’imposer sans le diplôme d’une école d’art, prouvant par la constance et la qualité de sa production qu’il était bien un artiste. «Tous les cheminsmènent àRome», dit-il en souriant, évoquant sa trajectoirenon linéaire.Mais il enest conscient : un tel parcours serait plus difficile à l’heure actuelle. Les jeunes artistes sortent désormais des écoles avec un Bachelor ou un Master. Ils sont intégrés dans des réseaux, exposés et primés avant même de se lancer réellement. ESSENTIELLES RACINES Plus qu’un lieu de création, son atelier est un espace de vie, d’échanges et de rencontres. Il y accueille artistes, amis et amateurs d’art. «Je me suis rendu compte que d’être ouvert aux autres, nous ouvre à nous-mêmes», confie-t-il. Cette philosophie du partage se retrouve dans ses nombreux projets collaboratifs, que ce soit avec des plasticiens ou des musiciens. Car Pierre Zufferey est un artiste polymorphe profondément enraciné dans son territoire. Il connaît les rivières, les montagnes et les lumières du Valais. Il s’en inspire, y puise une matière première qu’il transforme à sa manière. Cette porosité entre l’art et le monde réel est l’un des marqueurs de son travail. LA GRAVURE ET LA PHOTO À côté de la peinture, Pierre Zufferey pratique la gravure en noir et blanc sur papier. Pour lui, il s’agit là d’une manière différente de s’exprimer, plus concentrée, plus intérieure. Il y voit une respiration, une pause dans le geste chorégraphique de sa peinture. En ce moment, il collabore avec le maître-graveur Raymond Meyer autour du thème de la vigne. À partir de sarments éclatés, il compose desœuvres filamenteuses, à la frontière entre abstraction et matière brute. La photographie occupe également une place importante dans son parcours. Pierre Zufferey utilise l’image comme une extension de son regard d’artiste. Lorsqu’il expose à l’étranger, elle devient un outil, une porte d’entrée. Elle lui permet d’adapter ses projets à d'autres contextes, de dialoguer avec d'autres cultures. Voilà dix ans qu’il travaille ainsi au Mexique. Il y a tissé des liens durables avec des galeries et des institutions. LAISSER UNE TRACE L’une de ces «délocalisations» picturales les plus marquantes s’est déroulée à São Paulo en 2011. Il avait été invité par le prestigieux musée MuBe. Plusieurs grandes pièces y avaient été présentées. Cette exposition avait été suivie de plusieurs acquisitions visibles aujourd’hui dans différentes institutions. De retour duBrésil, LéonardGianadda l’avait convié en 2012 à montrer ses œuvres à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny. «Cela a été une de mes plus belles opportunités», affirme Pierre Zufferey. Inspiré à ses débuts par Nicolas de Staël ou Rauschenberg, celui-ci a su trouver son propre langage. Si l’abstraction reste au cœur de sa pratique, son style a évolué, s’affranchissant peu à peu de ses modèles initiaux. «Soulages avait une vision obsessionnelle : poursuivre l’exploration du noir jusqu’au bout de sa longue vie», évoque-t-il. Cette démarche s’est déclinée au fil du temps sous le signe de la patience et de la liberté. UNE EXPLORATION CONSTANTE Pierre Zufferey privilégie quant à lui une approche par séries. Ce fonctionnement lui permet d’approfondir des thématiques tout en offrant une lecture plus claire au spectateur. Paysages de Camargue, monochromes ou encore scènes inspirées par ses voyages, chaque série correspond à une plongée cohérente dans un univers plastique particulier. Pour lui, l’édition de livres représente une autre dimension clé. Ses quatre dernières monographies retracent par exemple vingt ans de création. Ils rendent visible l’évolution de son travail. Ces ouvrages ne sont en rien de simples objets promotionnels. Ce sont de véritables outils de transmission et d’archivage. Pierre Zufferey collabore par ailleurs avec des vignerons pour qui il a conçu des étiquettes de vin. Ce travail plus appliqué constitue une respiration créative bienvenue et un moyen de tisser des liens. Son œuvre est en perpétuelle évolution, reflet de sa curiosité et de sa soif de liberté. «J'aime m’autoriser à explorer différentes techniques, différentes idées, pour proposer d’autres visions. C’est une éternelle recherche», conclut-il. Sa dernière série, «Together », inspirée des bancs de sardines, questionne notre capacité à vivre ensemble. Ces toiles qui dressent des parallèles entre migrations humaines et animales illustrent la dimension sociétale qu’a prise récemment sa création. Un artiste à découvrir et à suivre, dont les œuvres nous invitent à un voyage intérieur sans frontières. François Praz PIERRE ZUFFEREY pierrezufferey.ch +41 79 221 07 46 ©Sabine Papilloud

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